Qui est le président de Renault ?

Jean-Dominique Senard, Président de Renault

Grand témoin Les Rencontres au Grand’R organisées par Siparex à l’automne, Jean-Dominique Senard a présenté un vibrant plaidoyer en faveur d’un capitalisme responsable en Europe. Dans son discours, le Président de Renault a repris les principaux thèmes du rapport de l’Institut Montaigne préparé par un groupe de travail qu’il a coprésidé. À la tête du constructeur automobile depuis janvier 2019, Jean-Dominique Senard est resté fidèle à ses convictions sociales et européennes. En effet, pour celui qui a également été directeur général de Michelin, face aux développements géopolitiques contemporains aggravés par la crise sanitaire et face à l’urgence environnementale, il n’y a, en particulier, pas d’autre choix que de diriger l’épargne européenne vers les entreprises européennes, en se concentrant sur terme.

Le capitalisme et la responsabilité ne sont-ils pas deux notions antinomiques ?

Je ne sais pas je pense que c’est le moment d’en parler afin de pouvoir anticiper ce qu’il faut faire. La question du capitalisme responsable se pose certainement pour nous, mais surtout pour l’Europe. Je suis convaincu que la mise en place d’une nouvelle forme de capitalisme peut servir de ciment à l’Europe dans un monde qui se fragmente.

N’y a-t-il pas toujours une forme d’impuissance en Europe ?

Le diagnostic que j’ai posé il y a deux ans aux Rencontres d’Aix portait sur l’état de nos démocraties et de nos sociétés. J’ai parlé de la mondialisation, perçue comme une forme d’échec et de déception par certaines personnes qui estimaient avoir manqué la mondialisation et qu’elle avait profité à certains et pas à d’autres, et que les inégalités s’étaient accrues. Ce qui n’était pas, en termes relatifs, totalement faux. Nous savons tous ce qui s’est passé dans l’esprit des classes moyennes, en particulier des Français, ce sentiment de déclassement par rapport aux classes moyennes du reste du monde. Il y a toujours une perception de créant des inégalités. À cela s’ajoute cette révolution numérique, qui provoque beaucoup d’anxiété.

N’y a-t-il pas eu également de craintes accrues face à de nouveaux défis tels que ceux de l’environnement, par exemple ?

En effet, il n’y avait pas de réponse claire aux défis de l’environnement, de la migration et des questions d’identité, tout cela mélangé aux dérives du capitalisme perceptibles depuis la crise de 2010 et qui ont gravement nui au concept. Les mots de nationalisme, de populisme, de protectionnisme, qui étaient encore un peu théoriques, sont aujourd’hui au cœur de notre vie économique, sociale et politique presque partout dans le monde et nous sommes en train d’évoluer vers une forme d’ « archipélisation » du monde avec cette querelle entre deux grands blocs, Amérique du Nord-Chine, au milieu de laquelle l’Europe tente de survivre. Le capitalisme responsable tel que je souhaiterais qu’il émerge est fondamentalement une formidable opportunité pour l’Europe.

Est-ce que c’est un nouveau modèle aussi ?

Mettre en place un modèle qui ne soit pas un soutien moral du capitalisme financier ou une amélioration des marges, et qui soit capable d’apporter de la prospérité tout en offrant une solution aux grands défis environnementaux et sociaux : c’est une définition assez simple du capitalisme responsable. C’est facile à dire, pas nécessairement à faire.

Précisément, sur qui comptez-vous pour mener à bien cette révolution ?

C’est à l’entreprise de reprendre la main. Cette crise du Covid ne change rien à mon sujet. Cela ne fait qu’accélérer certains phénomènes dont je viens de parler. L’entreprise doit prendre ses responsabilités. C’est un capitalisme de raison d’être et c’est aux entrepreneurs de le mettre en place.

Ce n’est pas un rêve divin ?

Non, tu dois arrêter de rêver. Parfois, j’ai pu être un peu lyrique sur ce thème, mais maintenant ça suffit, il faut passer à l’action. Le sujet est politique et des décisions politiques doivent être prises. Nous entrons dans le monde réel.

Pour faire simple, vous devez suivre trois directions principales.

Tout d’abord, mobiliser l’épargne européenne pour investir dans les petites, moyennes et grandes entreprises qui ont une attitude responsable.

Deuxièmement, il est nécessaire de créer un véritable marché des capitaux qui n’existe pas dans la réalité, ce projet n’est toujours pas achevé et il nécessite évidemment un système fiscal commun. Aujourd’hui, l’harmonisation des aides à l’investissement n’est pas faite, ni sur les faillites juridiques. Si nous ne réalisons pas cette révolution, le marché financier européen restera en effet un rêve. Comment voulez-vous que les investisseurs soient différents d’un pays à l’autre, qu’il est presque plus difficile d’investir à Vienne qu’en dehors de l’Europe ?

Enfin, les normes prudentielles doivent être réformées. Je le dis fermement : ils entravent le développement économique de l’Europe et la fragilisent. Depuis la crise de 2010, nous avons veillé à protéger le système bancaire avec des normes prudentielles qui nous ont rassurés. Mais ces normes se sont accompagnées d’une volonté de transparence absolue qui a conduit à l’adoption en Europe d’éléments normatifs privilégiant le court terme plutôt que le long terme. Je parle de la notion d’évaluation à la valeur du marché, la norme européenne qui veut que les actifs et les passifs soient évalués à la juste valeur, à la valeur actuelle, ce qui accélère la volatilité des bilans des entreprises et donc le court-termisme. Ces normes doivent être corrigées car elles ont conduit l’ensemble de nos activités financières européennes (assurances, banques) à réduire drastiquement leur portefeuille d’actions. En conséquence, les entreprises européennes manquent de fonds propres. Ces institutions européennes ayant disparu du paysage boursier, elles sont remplacées par la forte hausse des investisseurs anglo-saxons et je ne parle pas des investisseurs chinois. L’Europe est devenue un champ de bataille dans lequel ces deux capitalismes s’affrontent.

Cela suffira-t-il ?

Nous pouvons également augmenter la part de l’actionnariat salarié dans les entreprises, imaginer des choses concrètes comme des vecteurs d’investissement territorial, imaginer la création d’un fonds de pension européen géré de manière mutualiste pour compenser les retraites majeures du déficit de financement par exemple.

Vous dites également que l’Europe doit disposer de ses propres agences de notation et mieux contrôler les informations extra-financières. Tu trouves que c’est mauvais si elle ne le fait pas ?

Je pense que c’est sérieux parce que ce qui est susceptible de se produire, c’est que les valeurs sur lesquelles ces organes jugent les entreprises européennes ne seront pas des valeurs européennes. L’analyse anglo-saxonne est une analyse des risques qui met l’accent sur les conséquences financières. Alors que pour l’Europe, il serait souhaitable d’effectuer une analyse en fonction des valeurs. Ce qui intéresse un investisseur européen à long terme, c’est la résilience de l’entreprise, pas seulement son état actuel sur la base de critères financiers, mais aussi sa participation au l’évolution économique actuelle, comment elle apportera des solutions et quel sera son avenir. Les valeurs européennes ont une dimension humaine et sociale, que vous ne trouverez nulle part ailleurs.

Alors, qu’est-ce qui manque à l’Europe ?

Nous avons besoin d’un cadre politique en Europe pour qu’un capitalisme responsable puisse avoir lieu. La question de la raison d’être de l’entreprise se répand rapidement. Pour moi, c’est l’illustration que c’est elle qui doit prendre la main mais dans un cadre politique européen qui permet au capitalisme responsable de se développer, qui est au cœur des racines de la société économique européenne. Un capitalisme qui n’est pas seulement basé sur le profit, qui ne doit pas être nié, mais qui prend également en compte les questions d’impact social et environnemental pour former une nouvelle communauté d’intérêts qui affrontera les deux grands blocs qui se font face aujourd’hui. C’est son avenir qu’il joue.

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